jeudi 19 novembre 2009

Le cloaque italien


Sous l'impulsion experte de Berlusconi et du parti au pouvoir, "il Bel Paese" se transforme chaque jour davantage en cloaque, où l'air chargé des miasmes putrides et méphitiques d'un fascisme mafieux, xénophobe et corrompu est de plus en plus irrespirable (exemple : opération Noël blanc...).

Actuellement, Berlusconi n'a qu'un SEUL problème en tête : échapper aux procès qui sont sur le point de le rattraper pour ses relations avec la mafia, au côté de son éminence noire, Dell'Utri.

Cela l'obsède 24h/24 depuis la déclaration d'inconstitutionnalité de la Loi Alfano, dont le seul but était d'assurer son immunité impunité quasi-totale.

Mais enfin, cela lui donne une excuse pour poursuivre son assaut final à la justice italienne, en ayant fait mettre au point par ses avocats une "loi" destinée à devenir "la plus gigantesque amnistie masquée de l'histoire du pays", juste après avoir promulgué la plus phénoménale opération de blanchiment d'argent sale jamais effectuée par ... un État !

Sous le silence complice de l'Europe, observons-le au passage !

Son avenir politique et celui de sa coalition vont donc se jouer avant la fin de l'année autour de ce nouveau "projet de loi", avec une seule issue possible : ou ça passe, ou ça casse.

Je vais donc essayer de vous expliquer de quoi il retourne, d'autant plus que cette soi-disant "loi" (une saloperie sans nom...) est emblématique du mépris absolu qu'a Berlusconi pour son pays et ses concitoyens. Car pour éviter ses procès, il est prêt à en faire tomber plus de 100 000 d'un coup, et à démanteler totalement ce qui reste de justice en Italie (déjà qu'il n'y en a pas beaucoup).

Ce qui s'appelle œuvrer pour le bien de son pays...

Je vais donc baser ce billet sur les explications données par Marco Travaglio lundi 16 novembre (résumé en anglais), sur ce qu'il conviendra d'appeler le "procès mort-né", plutôt que le "procès court" :
Aujourd'hui la prescription s'applique à la peine, or cette "loi" introduit la prescription du procès, dont le délai commence à courir non plus à partir du moment où le crime a été commis, mais à partir du moment où il y a renvoi en justice, point de départ de la bombe à retardement qui explosera au bout de deux ans en première instance, de deux ans supplémentaires en appel et de deux ans encore en cassation.

Donc si un procès de première instance dépasse le délai fatidique de 2 ans et 1 jour, il y a mort subite du procès : la victime en est pour son argent, elle n'obtiendra jamais justice, et le coupable sera heureux et libre d'aller faire d'autres victimes. Idem en appel, et idem en cassation.

Par conséquent imaginez le désastre dans le cas de procès où il y a une pluralité de mises en examen, d'expertises, etc., surtout en première instance, où il faut procéder à l'audition de nombreux témoins, ceux de l'accusation et ceux de la défense, mais aussi les policiers, les experts, les avocats, le Ministère public, les mémoires en réplique, en réponse, les commissions rogatoires, etc.

Cette phase est la plus longue, car même si le délai de deux ans sera le même pour la première instance, l'appel et la cassation, c'est la première instance qui exige le plus de temps, les juges d'appel et de cassation n'étant amenés à se prononcer que sur le fond et la forme du jugement, s'il est correct ou pas.

Très probablement, d'après les évaluations des magistrats qui tentent actuellement de faire des projections sur les effets que produira cette "saloperie", nous aurons une fourchette de 100 à 200 000 procès destinés à s'éteindre dès la phase de première instance. Et attention ! Nous parlons de 100 à 200 000 procès qui iront s'ajouter aux 150/200 000 procès qui s'éteignent déjà chaque année au motif de la prescription de la peine.

Donc lentement mais sûrement, nous nous dirigeons vers un demi-million d'accusés qui seront libres, d'une manière ou d'une autre, vs. un demi-million de victimes par an qui n'auront plus que les yeux pour pleurer, qui auront perdu les frais engagés et verront les coupables joyeux et "innocentés"...

Par conséquent, vous comprenez bien qu'il s'agit là d'une catastrophe incommensurable, non pas une catastrophe due à des conditions météorologiques adverses, au hasard ou à la malédiction divine, mais due à la énième "loi" faite sur mesure pour éviter les procès à Silvio Berlusconi.

* * *

En outre, il s'agit d'une loi rétroactive ! Mais dont la rétroactivité ne s'appliquera qu'aux procès de première instance, pas à ceux qui sont en appel ou en cassation. Et pourquoi donc ? Simplement parce que Berlusconi a déjà des procès en première instance.

Avec cette situation paradoxale dans le cas du procès Mills, condamné par les juges d'avoir été corrompu par Berlusconi. Or la position de Berlusconi ayant été séparée de celle de Mills lors de l'adoption de la Loi Alfano par le gouvernement Berlusconi (c'est-à-dire avant qu'elle ne fût déclarée inconstitutionnelle), le procès pour corruption a maintenant commencé pour Berlusconi, il est donc en première instance, tandis que Mills est déjà arrivé en cassation.

Résultat des courses : la nouvelle "loi" sauvera Berlusconi mais ne s'appliquera pas à Mills, dont la cassation confirmera très probablement la condamnation en première instance et en appel ! (à noter pour qui ne le sait pas, que Mills a également été condamné à verser 250 000 € de dédommagements à la ... présidence du Conseil, c'est-à-dire à Berlusconi !!!)

Et avec au final cette aberration juridique que l'on aura un corrompu sans corrupteur...

Sans entrer dans les détails techniques, plutôt compliqués, cette "loi" introduit donc des disparités de traitement évidentes entre les justiciables, y compris au sein d'un même procès !

Avec des distinctions entre les prévenus, du genre : la "loi" ne sera pas applicable à ceux qui ont déjà été condamnés, mais uniquement à ceux dont le casier judiciaire est encore vierge (au hasard, Berlusconi, grâce aux nombreuses prescriptions dont il a bénéficié jusqu'à présent, mais également Andreotti, D'Alema, etc.).

D'où cet autre paradoxe : si votre casier mentionne une quelconque peccadille, comme le téléchargement illégal, par exemple, vous êtes exclu du "procès court", alors qu'un condamné pour association mafieuse comme Andreotti mais qui a bénéficié de la prescription ne l'est pas... Or d'après vous, lequel des deux est plus socialement dangeureux ?

Idem pour les journalistes déjà condamnés pour diffamation, qui seront donc traités bien plus sévèrement qu'Andreotti ou que Berlusconi (déjà prescrit 6 fois pour corruption, financement illégal des partis politiques, fraude fiscale, faux en écritures, etc.). Comme vous l'avez vu dimanche dernier où il était question de blanchiment d'argent sale, de fraude fiscale, d'argent sorti en contrebande du pays pour payer les pots-de-vin, etc., et bien tous ceux-là qui ont réussi à obtenir la prescription pourront continuer à l'être et seront prescrits à l'infini...

Ainsi, pour les grands criminels disposant de puissants moyens économiques, prescription à vie !

Quant au choix qui a été opéré entre les catégories de délits pour dire que la "loi" s'applique à celui-là mais pas à celui-ci, les critères ont été décidés dans l'arbitraire le plus total : celui-ci me plaît, celui-là non, la Ligue du Nord veut cet autre, etc. Comme dans le cas du délit d'immigration clandestine, non pas parce que le clandestin aura commis un délit, mais par le fait même de sa situation, qui le met de facto dans un état de délinquance, délit actuellement passible d'une amende de 5 à 10 000 €, mais qui ne pourra pas bénéficier pour autant du "procès court".

Or quelle est la logique qui assimile un délit puni d'une simple amende aux crimes pour mafia, carnages, terrorisme, assassinats, enlèvements ou trafic d'armes ?

Et quelle est la logique pour dire que le délit d'immigration clandestine est plus graves que les délits & crimes contre l'administration publique, la corruption, la corruption judiciaire (affaire Berlusconi-Mills), l'escroquerie, les fraudes aux fonds communautaires, etc. ? Autant de crimes qui dérobent par millions et par milliards l'argent public, l'argent des citoyens. Idem pour la fraude fiscale, les faux en écritures, les mises en faillite, les écoutes téléphoniques clandestines, la criminalité informatique, le recel, la contrefaçon, le trafic des déchets, la prostitution, la violence privée et les lésions corporelles, les homicides par imprudence ayant entraîné la mort pour abus médicaux, les mauvais traitements en famille, l'avortement illégal, les incendies, l'inceste, les faux témoignages, la calomnie, etc., autant d'accusations auxquelles le "procès court" sera applicable !

Vous rendez-vous compte de ce que signifie une "loi ad personam", ou, pour mieux dire, "contra personas", contre les citoyens, contre les gens honnêtes ?

C'est ainsi que de nombreux procès en cours s'éteindront immédiatement de mort subite, puisque la rétroactivité de la loi implique que ces procès seront prescrits au moment-même de sa publication au journal officiel. Comme pour le crack Parmalat et Calisto Tanzi, par exemple, une banqueroute de 14 milliards d'euros avec des centaines de milliers de petits porteurs grugés, et qui auront définitivement tout perdu...

Mais aussi dans les affaires Enel Power, Eni Power, Antonveneta, HDC, des déchets à Naples (où est impliqué Bassolino), Cragnotti, Cirio, Geronzi (actuel Président de Mediobanca impliqué dans les faillites Parmalat et Cirio), etc. (...)

* * *

Idem pour le procès de la clinique Santa Rita, sur lequel je voudrais m'attarder un instant : il s'agit d'une clinique milanaise où, grâce à des écoutes téléphoniques dans le cadre d'une fraude aux subventions publiques de la Région Lombardie, les enquêteurs ont découvert que certains chirurgiens, avec la complicité de certains administrateurs et actionnaires de la clinique, charcutaient les patients en leur prélevant des organes sains (poumons, reins, etc.), et qui sont même soupçonnés d'avoir provoqué la mort de certains patients (hypothèse qui reste à confirmer dans le cadre du procès) à cause de ces opérations invasives et inutiles, dont le seul but était d'encaisser davantage de remboursements et de financements...


[Ici Travaglio détaille les délais du procès pour montrer comment cette affaire aussi, malgré toute la diligence dont les juges ont fait preuve jusqu'à présent, est à risque prescription, avant de conclure.]

Sauf miracle, il est absolument impossible que ce procès arrive à son terme avec la nouvelle loi. Et quel sera le résultat ?

En juillet 2010, le Tribunal, qui n'aura pas réussi à entendre durant les 7 mois restants les plaidoiries des 9 défenses, les interventions des 40 parties civiles, le réquisitoire du ministère public, les répliques des avocats de la défense et des parties civiles, puis la réponse du ministère public, sans compter les nombreuses expertises diligentées, sera contraint de relaxer les médecins qui ont charcuté des victimes innocentes, de saluer les parents des charcutés, les charcutés, le ministère public et les avocats, en leur disant : « Désolé, mais pour assurer l'impunité de Berlusconi, le procès s'arrête là, les accusés peuvent retourner à leurs charcutages, les victimes qui n'obtiendront jamais justice peuvent rentrer chez elles, c'est ça le "procès court", ou plutôt le "procès mort-né", qui ne sert qu'à sauver le président du conseil. Merci d'être venus. »




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P.S. Roberto Saviano a lancé un appel contre cette "loi" sur Repubblica, qui a déjà obtenu plus de 280 000 signatures à l'heure où j'écris. Si vous voulez signer...


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