dimanche 14 décembre 2008

Jurassic Presse et Google

Jurassic Presse et Google

Réaction inspirée par la lecture de trois billets :
  1. Vive la gougueulitude !
  2. États Généraux : Google en position d’accusé
  3. Google sous le feu des États généraux
Selon moi toute l'histoire de l'opposition presse / Google repose sur un gigantesque malentendu, entretenu à l'envi par les tenants de monopoles et de modèles qui ne tiennent plus la route, mais qu'il importe de préserver le plus longtemps possible et par tous les moyens, vu ce qu'ils rapportent - moins encore par leur pouvoir économique déclinant que par leur pouvoir d'influence toujours vital pour le pouvoir tout court...

Commençons par le billet d'Aliocha, qui trouve opportun de préciser :
Heureusement que je n’ai pas lu cette merveille sous la plume réjouie d’un blogueur anti-journaliste et pro-web, sinon je crois que ce blog se serait instantanément auto-détruit sous l’effet de la colère.
Sous la plume d'un blogueur certainement pro-Web mais en aucun cas anti-journaliste (quand bien même il faudrait s'entendre sur le sens et les implications du terme "journaliste" en 2008...), elle aurait peut-être pu lire avec plus grand profit une "vieille" réflexion sur certains changements de paradigme et l'émergence de la règle G + 2H + 5W.

Car en fait, donner dans la caricature tant dans les propos rapportés (« déformer la langue française pour répondre aux exigences d’un algorithme de langue anglaise c’est tout de même un peu gênant ») que tenus (« je ne serais pas non plus webesquement correcte, et je m’insurge contre l’internetitude », ..., « quel respect devrais-je à un système qui encourage toutes les dérives orthographiques, grammaticales et autres, simplement pour faire plaisir aux publicitaires ? »), ça fait certainement sourire le gogo, mais ça ne donne en rien une idée du "vrai" problème, qui est celui d'adapter aux nouveaux usages ce que devraient être une presse et un journalisme modernes. Et donc ça enlise le débat plutôt que de la faire avancer.

Car personne ne saurait sérieusement nier que le Web induit de nouveaux usages d'un côté, et que l'on a une impérieuse nécessité de voir l'émergence d'une presse et d'un journalisme modernes de l'autre.

Et si vous me demandez ce que devraient être "cette presse et ce journalisme modernes", je vous renverrais à différents billets que j'ai écrit sur la question, sans pour autant me prétendre exhaustif : Etc.

Car comme l'observe si justement Narvic, s’attaquer à Google, « c’est s’attaquer à des conséquences, pas à des causes ».

Remarquez, il n'y a pas de quoi s'étonner : s’attaquer aux causes, cela voudrait dire prendre acte des vrais problèmes, parfaitement identifiés (ce ne sont pas les rapports qui manquent...), pour les résoudre. Or il est bien plus facile de cacher tout ça derrière la grande mascarade des états généraux de la presse, pour au final faire cracher le contribuable au bassinet et le traire à volonté afin de perpétuer des rentes de privilèges...

Pourtant, lorsque l'on a des dialogues avec d'un côté Josh Cohen, patron de Google News :
- « Chaque page est désormais une Une »
- « Nous devons mieux trouver vos contenus ».
- « Personne, pas même Google, ne peut renverser cette tendance. Votre modèle d’affaires doit changer »
et de l'autre des arguments tels que :
- « Et actuellement, avec la crise, des gens sont en train de mourir. Nous ne faisons pas assez d’argent pour vivre en ligne ».
- « Et ce que nous entendons aujourd’hui signifie que nous sommes donc livrés à nous-mêmes, malgré les déclarations d’Eric Schmidt. Vous acceptez donc la fin des news comme nous les avons connues ».
- « Vous avez une responsabilité sociale à assumer vis-à-vis des organes de presse. Vous devez prendre cela au sérieux »
il est clair que les interlocuteurs ne sont pas sur la même longueur d'onde...

L'un parle d'évoluer et de s'adapter, les autres de mourir et d'assistanat (les grabataires de l'info :-). Tout prêts à invoquer l'ombrelle souveraine de l'État-Providence d'un côté, et de l'autre la responsabilité sociale de Google vis-à-vis de qui va mourir. De suite les grands mots. Je vous dis pas, ils en rigolent encore à Mountain View : - « qu'est-ce qu'ils sont cons, ces français ! »

En anglais dans le texte.

Qu'il y ait un problème de partage des revenus publicitaires, c'est évident. Mais comme l'observe justement Vanch, la situation est tout à fait comparable à celle de la distribution en France et des grandes centrales d'achats, et c'est juste un rapport de force entre différents acteurs de la chaîne. Il y en a d'autres...

Du reste il n'y a pas que Google dans la pub : outre les différentes régies établies par pays, Microsoft, AOL et Advertising.com, Yahoo!, Federated Media, Commission Junction, Glam Media, etc.

L'histoire et l'exemple de Glam Media, qui continue d'évoluer et de s'adapter, seraient d'ailleurs très riches d'enseignements pour nos quémandeurs de profession...

Pour autant, si vous n'êtes pas contents de Google, allez chez les autres. Ou créez la vôtre (votre propre régie publicitaire, j'entends), ce ne sont ni les moyens qui vous manquent, ni les chiffres, ni les ressources, ni les contacts, ni les appuis... Et lorsque Bruno Patino constate : « L’écosystème des news est en train de mourir », c'est tout simplement faux !

C'est juste un écosystème dépassé qui refuse de s'adapter et d'évoluer qui est en train de mourir. Ce n'est pas la même chose. L'autre écosystème, l'écosystème des news sur Internet, est en pleine croissance. Avec des budgets pubs qui ne cessent d'augmenter.


Voir également ici, puisqu'on parle d'écosystème...

Donc face à des monopolistes mastodontes sans la moindre agilité ni inventivité, d'autres acteurs et alternatives voient le jour pour créer de toutes pièces de nouveaux écosystèmes de news : Wikio et Techmeme, Aaaliens et Publishing 2.0, Drudge Report ou Huffington Post, des réseaux de blogs nouveaux médias (Techcrunch, Read Write Web, etc.), une concurrence jeune, qui en veut et ne va pas manquer d'asseoir et consolider ses positions pendant que les autres pleurent...

Non, la réponse se dissimule en partie dans les propos de Josh Cohen :

- « Chaque page est désormais une Une »
- « Nous devons mieux trouver vos contenus ».
- « Votre modèle d’affaires doit changer »


Et j'ajouterais :
- Apprenez les nouveaux usages, ne croyez plus que vos journaux-marques sont le centre du monde, car le nouvel écosystème de news se met en place et évoluera avec ou sans vous. Donc soit vous prenez le train, soit vous le ratez, or il me semble que vous avez déjà loupé pas mal de gares... Mais de grâce ne vous trompez plus de sens, ni l'info ni le lectorat ne vous attendront davantage !
Prenez-en acte ou mourrez ! Un avenir que vous semblez appeler de tous vos vœux et de toutes vos ultimes forces. Honte à vous !


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P.S. Si vous souhaitez une formation ou un coaching, contactez-moi :-)

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5 commentaires:

Anonyme a dit…

Oui mais quid de la réalité ?

J'ouvre mon Google News.fr à la page "Articles les plus lus" et voici les deux premiers titres :

- Miss France est élue et le restera !
- Star Ac : Alice sur son petit nuage

(sourire)

Jean-Marie Le Ray a dit…

Szarah,

Si ce sont les articles les plus lus, ça veut simplement dire qu'une majorité préfère ça, rien de plus.
Aujourd'hui il y a vraiment le choix au niveau des pages personnalisables d'agrégation de news, et du reste les problèmes soulevés par la presse vis-à-vis de Google me semblent être ailleurs.
Et si l'écueil est au niveau de la pub, rien ni personne n'empêche la presse de s'organiser pour créer une régie alternative.
D'autant plus que, si une "entité" quelconque est en mesure de le faire, c'est bien la presse !

Jean-Marie

Anonyme a dit…

Je comprends et soutiens la critique d'Aliocha sur l'orthographe... pour mieux vous rejoindre.
Parce que continuer à faire pareil en cherchant simplement à être mieux référencé sur Google par tous les moyens imaginables, c'est laisser de côté le vrai boulot : faire de bons papiers, des enquêtes, traiter l'information avec un regard intéressant, se demander ce qu'en pensent les lecteurs (voire intéragir avec eux grâce aux commentaires, à des plateformes communautaires ou des blogs de la rédaction).
Aussi, le coup de gueule est pertinent, mais l'ire d'Aliocha, peut-être un brin surannée, s'attachait avant tout à la qualité du contenu, qui se dégrade...

Jean-Marie Le Ray a dit…

@ Enikao,

Sur le fond, moi qui suis amoureux de la langue française, je ne vais certes pas m'opposer à la nécessité de bien écrire.

Mais là où je trouve le raccourci caricatural, c'est qu'on peut très bien penser référencement en écrivant sans pour autant renoncer à la qualité du français.

En fait, toute la "stratégie" d'Adscriptor, si je puis sire, c'est de viser le positionnement par la qualité du contenu.

Donc les choses ne sont pas si incompatibles, puisqu'un temps j'ai même réussi à me placer en première page sur "Facebook" alors que c'est l'une des requêtes les plus chaudes de l'année !

Le blog d'Eolas, qu'Aliocha connaît bien, en est aussi un parfait exemple. Or je doute qu'Eolas sacrifie en quoi que ce soit aux exigences du référencement.

Donc il est vrai que le Web induit de nouveaux usages, y compris au plan de l'écriture, qui doit joindre le fond à la forme, mais le paradoxe est que les journaux, qui devraient être un parangon de qualité, ont plutôt tendance à faire des pages arbres de Noël où l'info est totalement noyée dans un inextricable fouillis.

Presse : peut faire mieux :)

Jean-Marie

Anonyme a dit…

Penser référencement, je suis d’accord. Intégrer les bons mots clés. Mais devoir reformuler son idée pour coller à des mots clés devient suicidaire. Je pense au ‘name dropping’ ou à des allusions pernicieuses (utiliser telle métaphore pour glisser tel mot clé). Le trafic c’est une bonne chose, encore faut-il… qu’il soit qualifié !
Je vais prendre un exemple un peu personnel : de nombreuses requêtes arrivent sur mon blog par hasard, et repartent sans doute aussitôt, parce qu’une formulation originale ou la juxtaposition malicieuse de mots clés correspondent à une autre recherche. J’avais fait l’essai d’y répondre réellement (lien vers mon billet) mais catastrophe : cela a drainé beaucoup plus de trafic non qualifié.
Les versions web des médias traditionnels sont dans une optique différente dans la mesure où elles ont besoin de volume pour justifier les tarifs publicitaires en ligne proposés, tandis que je ne cours pas vers le trafic, j’en suis conscient.
Ces versions web auraient tout intérêt à jouer sur la complémentarité avec le print (Le Talk du Figaro : une super idée !), et à lier vers l’extérieur pour être pleinement web (Le Monde a commencé, au risque de ne plus garder captif le lecteur : mais est-il captif quand un clic le fait sortir du site ?).